Exposition « Etat-limite, limite d’état », 2012
Texte de Déborah Abergel
L’exposition « Etat-limite, limite d’état », co-construit par les sœurs Abergel, rassemble des œuvres photographiques, des installations et des performances vidéo créées par Elodie Abergel entre 2007 et 2012 à Jérusalem et dans ses environs.
« Etat-limite » fait référence à un type de personnalité défini en psychanalyse comme un aménagement intermédiaire entre la névrose et la psychose. Une personne « état-limite », appelée aussi « borderline » souffre d’angoisse de séparation et de perte d’objet, ce qui signifie qu’elle oscille entre une relation de dépendance (anaclitique) à l’autre ou de manipulation agressive. N’ayant pas développé de sentiment de sécurité intérieur suffisant, la personnalité "état limite" se sert du clivage pour pouvoir séparer le côté bien adapté de sa personnalité et ses conflits psychique internes. Elle utilise d'autres mécanismes de défense tel le déni et la projection de ses propres mouvements internes sur autrui (identification projective). Il en résulte parfois une confusion entre ce qui est interne et ce qui est externe sans toutefois que la personne perde la capacité de différencier le soi et l'autre. Aussi elle tolère difficilement la frustration et règle généralement ses conflits psychiques par des passages à l’acte violents pour tenter de juguler son angoisse.
« Limite d’état » fait référence à la place centrale qu’occupe Jérusalem dans les négociations de paix où les frontières entre états réel et espéré demeurent floues. Ce travail artistique questionne la séparation réelle et imaginaire d’un territoire à la fois commun et distinct, revendiqué par chacun et à forte valeur symbolique.
Les œuvres présentées dans l’exposition « Etat-limite, Limite d’état » concourent à nourrir une réflexion sur l’insécurité « intérieure » des peuples israéliens et palestiniens dans le contexte actuel et sur l’impasse de la situation. L’artiste montre une jeunesse israélo-palestinienne, otage de ce conflit, enfermée, « Emmuré-emboîté » et l’impuissance de la communauté internationale, pour laquelle ce conflit demeure un « U.N.Pact » central.
La plupart des œuvres de cette exposition ont été crée à Jérusalem, ville trois fois Sainte où chaque pierre porte le poids d’un passé dont les « Monopierristes » se souviennent en priant. Jérusalem, ville frontière, où l’artiste relie virtuellement les populations aux identités multiples (« Teoudat Zeout ») dans « Connexion ». Jérusalem enfin disputée depuis toujours où la répétition s’incarne à travers ceux qui ont le pouvoir dans la ville, ce dont témoignent les photos réunies sous le titre « Arrestations ». L’artiste utilise l’humour pour éveiller les consciences dans « Signal-éthique » se réappropriant des éléments de l’espace urbain pour dénoncer l’absurdité de la situation.
A partir d’un traumatisme pour chacun de ces peuples, la shoah pour les uns, la Naqba pour les autres, ils se trouvent les uns puis les autres « Délogés ». L’artiste tend à mettre en parallèle les situations de souffrance de ces deux peuples (sans les comparer) dans ce qui les rapproche bien plus que dans ce qui les sépare. Elle dénonce dans « home » le contraste saisissant entre un Moyen-orient où l’intérieur et l’extérieur n’apparait plus clairement délimité et l’occident qui tente d’en définir les contours. Ce flou conduit l’artiste à inviter le spectateur a un voyage hallucinatoire dans « this is god’s country », où la perception confuse évoque l’effet d’un « traumatisme désorganisateur ».
Les œuvres questionnent aussi la place du « père » si présente, autant dans la prégnance du déisme, que dans la structure même de ces sociétés patrilinéaires qui se réfèrent sans cesse « Au nom du Père ». Elles interrogent aussi le partage si complexe de cette terre-mère, symbolisée par l’olivier « Arbre de paix et de discorde », que se disputerait jalousement des frères. Cette terre-mère nourricière de Jérusalem représentée par le moulage du corps de l’artiste suspendu, d’où jaillissent des « seins des saints », les pierres d’un combat sans fin que les mots font tomber à terre.
L’artiste joue avec les symboles (couleurs et motifs) propre à chacun dans « hasar-dieux » et dans « recouvrement », où elle dénonce leurs peurs de pertes identitaires. Ainsi chacun se retrouve « seul au monde » avec sa peine, sa peur, son espérance.
Enfin devant une telle complexité, l’artiste se sent impuissante malgré ses vœux de paix dans « dépression laïque » et insiste sur la répétition pour souligner l’aspect mortifère de la situation. C’est aussi ce qu’elle dénonce par la répétition d’un geste partagé dans « Fallafel ».
Cette exposition « Etat-limite, Limite d’état » est un acte artistique de résistance, une victoire d’Eros contre Thanatos devant la « folie » des hommes.